Sur le fil du rasoir (2016)
Le sensationnalisme de la photo de presse qui érige l'horreur en spectacle pour nous enjoindre à la compassion ou à l'indignation finit par banaliser le mal. Dans le flux continu de l'information, chaque nouvelle image qui en balaye une autre nous fait aussitôt oublier la réalité précédente. Ces images n'ont alors à offrir au spectateur confortablement assis qu'une succession d'émotions volatiles. Elles ne nous permettent pas de prendre le temps de réfléchir. Prenant le contre-pied de cette approche, le choix de photographier la « jungle » à la chambre photographique s'est imposé comme une évidence. Il ne s'agissait pas pour autant de témoigner de la misère des réfugiés d'une autre manière, mais de gagner leur confiance de par son utilisation. La photographie agissait ici aussi comme prétexte justifiant ma présence parmi eux afin de leur exprimer ma solidarité et mon désaccord par rapport à la façon dont ils étaient traités. Au delà des multiples questionnements que cela a suscités en moi, faire le portrait des habitants du camp était d'abord une façon de tisser du lien, d'entrer en contact avec eux. Le résultat photographique de cette démarche est le récit inachevé du temps consacré à la rencontre de ces laissés-pour-compte. Je n'ai pas été à Calais pour raconter ce qui s'y passe, mais pour écouter ce que ces hommes et ces femmes avaient à m'apprendre. Ces photographies n'éliminent pas les conditions dégradantes dans lesquelles ces réfugiés survivent, ni ne leur assurent un avenir plus radieux comme certains d’entre eux se l'imaginent peut-être. Elles ne sont que le résidu de quelques rencontres, mais elles invitent humblement à réinventer le lien qui m'a unit avec eux dans l'espoir que le spectateur prenne le temps de se questionner et de faire sa propre introspection face à ces vies qui sont sur le fil du rasoir.
Développé avec Berta.me